La conduite devient superflue

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Depuis un bon moment, les constructeurs de voitures ne cessent d’innover dans le domaine des aides à la conduite. Cela fait longtemps que Ford nous avait proposé son park-assist, en 2009, à grand renfort de publicité. En 2003 déjà, Toyota équipait son modèle haut de gamme hybride d’un assistant au parking. Finis les créneaux à s’y reprendre trois fois !

Alors que la quasi-totalité des acteurs du marché généralise les aides à la conduite pour les particuliers, certains constructeurs ainsi que de nouveaux acteurs se sont lancés dans une course à la conduite autonome complète : Volvo, Tesla, Google, Uber (par le biais de sa filiale OTTO). C’est une aventure qui n’a pas été sans quelques déboires. Volvo a été la risée des journalistes après un essai raté ; Tesla s’est battu pour éviter le bad-buzz du premier mort directement lié à la conduite automatique…

un prototype de voiture autonome Volvo rate son freinage derrière un camion en stationnement, en pleine démonstration devant les journalistes
La démonstration a tourné à l’Epic Fail

En général, les constructeurs de voitures cherchent essentiellement à simplifier, sécuriser, fiabiliser la conduite. L’ambition des nouveaux acteurs est néanmoins plus grande : ils sont surtout motivés par la suppression de la présence humaine dans l’acte de conduite. Alors que Google y travaille depuis plusieurs années, avec une approche citadine, la vision de Uber semble être axée autant sur le commercial que l’exploit. En effet, l’entreprise de services de transport veut s’illustrer dans des domaines lucratifs comme la livraison urbaine, le remplacement des taxis et les livraisons longue distance par la route.

Dans son sillage, Renault qui ambitionne de rattraper VW et Toyota (L’automobile, toujours plus connectée), cherche des leviers de croissance, notamment, en proposant à Singapour des taxis autonomes avec sa Zoé électrique, en partenariat avec nuTonomy. De plus, l’arrivée de Carlos Ghosn à la tête de Mitsubishi va lui permettre de récupérer l’expérience de la i-miev, autre voiture intelligente.

La rapidité avec laquelle les avancées sont annoncées à la presse pousse à une certaine concurrence. Le placement stratégique fluctue beaucoup, à l’image du groupe Apple qui s’était lancé aussi dans la course. Chez Apple, on imaginait concevoir une voiture autonome ; hélas, depuis cet été le projet Titan est dissous, transformé en services tiers avec reclassement de ses effectifs dans les autres projets en cours.

Le marché des véhicules autonomes est à surveiller au plus haut point pour des raisons diverses : économique, sociologique, sécurité voire éthique. En effet, pour obtenir la faveur du public, les arguments marketing ne manquent pas. L’exploit technologique suit-il réellement l’engouement suscité ?

Ainsi, cet Automne 2016, Uber nous a fait la démonstration d’une livraison d’une cargaison de bière d’une marque très populaire aux états-unis, sur 200km. D’après l’entreprise américaine, la conduite autonome de leurs camions serait motivée (uniquement) par une amélioration des conditions de travail du chauffeur-livreur. Soit ! N’oublions cependant pas que l’annonce du parcours spectaculaire de leur camion de livraisons a été suivie de celle de la mise en ligne d’un nouveau site visant à recruter des chauffeurs-livreurs particuliers.

Une livraison de bière en guise de démonstration

Renault/nuTonomy, eux, prétendent que les taxis autonomes seront deux fois plus efficaces que les chauffeurs de taxi. Ils pourraient réduire de moitié la circulation des taxis dans la ville de Singapour grâce à leur système. Sachez que cette ville-état détient le record mondial du nombre de taxis par habitant, car elle tente de maîtriser le nombre de véhicules personnels en circulation. En l’occurrence, on parle de pas moins de dix mille chauffeurs de taxis. Que deviendraient les emplois menacés par cette autonomisation des taxis?

L’enthousiasme industriel et économique que suscite le véhicule autonome est trop important pour juger cette technologie anecdotique. Qu’on ne s’y trompe pas : les arguments publicitaires nous cachent le réel changement que cela pourrait provoquer dans nos sociétés. On peut classer cette révolution technologique au même rang que la mécanisation des usines du XIXème siècle (Germinal – Émile Zola), que l’avènement de la production en série au début du XXème siècle (Les temps modernes – Charlie Chaplin) et que l’informatisation généralisée des dernières trente années. Ces révolutions économiques ont débouché sur des drames sociétaux. il a alors fallu une reconversion de l’économie pour trouver de nouveaux leviers de croissance afin de subvenir aux besoins de chacun.

Aussi, devrait-on s’interroger sur la disparition du métier de chauffeur. Les postes d’ingénieurs et de techniciens nécessaires pour élaborer et entretenir cette technologie pourraient-ils compenser progressivement ? L’avenir nous dira quelle direction prendra la mutation de la société qui devra fournir de nouveaux emplois à ses chauffeurs. Par le passé, la croissance économique avait été à chaque fois la voie suivie pour palier aux changements. Qu’en serait-il dorénavant avec une planète saturée par nos activités ? Il n’est toutefois pas à exclure que cette technologie fasse un flop et soit enterrée comme d’autres (avions commerciaux supersoniques, navettes spatiales, écrans TV 3D, …).

Will Smith sort de sa voiture autonome – I, Robot (2004)

Autre questionnement : où sera la responsabilité en cas d’accident ? le propriétaire ? le constructeur ? La législation reste imprécise. Il est intéressant d’ailleurs sur ce point de voir Tesla se laver les mains en gardant son « autopilot » en version dite « bêta » (c’est-à-dire en cours de développement) pour se dégager de toute responsabilité sur le propriétaire qui a accepté d’enclencher le système. Tesla a d’ailleurs été attaqué sur ce principe par l’état fédéral allemand (ainsi que par d’autres associations). Il est alors rappelé que le propriétaire du véhicule reste responsable et donc doit rester aux commandes.

Concrètement, pouvons-nous concevoir de nous faire conduire par des machines ?
Pour anecdote, l’auteur Isaac Asimov imaginait déjà il y a 70 ans l’avènement des voitures autonomes, tel qu’on l’a revu dans le film «I, Robot» tiré de ses écrits. Il imaginait aussi et surtout le bouleversement que cela allait avoir pour nos sociétés. Ces machines rouleraient à toute allure, trop parfaites pour garder une quelconque marge de sécurité.

Cette technologie serait plus qu’une évolution de l’automobile. Avant de nous y soumettre, il faudra qu’on se pose suffisamment de questions sur son empreinte dans nos vies.

Élie


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