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27Oct/16

La conduite devient superflue

Depuis un bon moment, les constructeurs de voitures ne cessent d’innover dans le domaine des aides à la conduite. Cela fait longtemps que Ford nous avait proposé son park-assist, en 2009, à grand renfort de publicité. En 2003 déjà, Toyota équipait son modèle haut de gamme hybride d’un assistant au parking. Finis les créneaux à s’y reprendre trois fois !

Alors que la quasi-totalité des acteurs du marché généralise les aides à la conduite pour les particuliers, certains constructeurs ainsi que de nouveaux acteurs se sont lancés dans une course à la conduite autonome complète : Volvo, Tesla, Google, Uber (par le biais de sa filiale OTTO). C’est une aventure qui n’a pas été sans quelques déboires. Volvo a été la risée des journalistes après un essai raté ; Tesla s’est battu pour éviter le bad-buzz du premier mort directement lié à la conduite automatique…

un prototype de voiture autonome Volvo rate son freinage derrière un camion en stationnement, en pleine démonstration devant les journalistes
La démonstration a tourné à l’Epic Fail

En général, les constructeurs de voitures cherchent essentiellement à simplifier, sécuriser, fiabiliser la conduite. L’ambition des nouveaux acteurs est néanmoins plus grande : ils sont surtout motivés par la suppression de la présence humaine dans l’acte de conduite. Alors que Google y travaille depuis plusieurs années, avec une approche citadine, la vision de Uber semble être axée autant sur le commercial que l’exploit. En effet, l’entreprise de services de transport veut s’illustrer dans des domaines lucratifs comme la livraison urbaine, le remplacement des taxis et les livraisons longue distance par la route.

Dans son sillage, Renault qui ambitionne de rattraper VW et Toyota (L’automobile, toujours plus connectée), cherche des leviers de croissance, notamment, en proposant à Singapour des taxis autonomes avec sa Zoé électrique, en partenariat avec nuTonomy. De plus, l’arrivée de Carlos Ghosn à la tête de Mitsubishi va lui permettre de récupérer l’expérience de la i-miev, autre voiture intelligente.

La rapidité avec laquelle les avancées sont annoncées à la presse pousse à une certaine concurrence. Le placement stratégique fluctue beaucoup, à l’image du groupe Apple qui s’était lancé aussi dans la course. Chez Apple, on imaginait concevoir une voiture autonome ; hélas, depuis cet été le projet Titan est dissous, transformé en services tiers avec reclassement de ses effectifs dans les autres projets en cours.

Le marché des véhicules autonomes est à surveiller au plus haut point pour des raisons diverses : économique, sociologique, sécurité voire éthique. En effet, pour obtenir la faveur du public, les arguments marketing ne manquent pas. L’exploit technologique suit-il réellement l’engouement suscité ?

Ainsi, cet Automne 2016, Uber nous a fait la démonstration d’une livraison d’une cargaison de bière d’une marque très populaire aux états-unis, sur 200km. D’après l’entreprise américaine, la conduite autonome de leurs camions serait motivée (uniquement) par une amélioration des conditions de travail du chauffeur-livreur. Soit ! N’oublions cependant pas que l’annonce du parcours spectaculaire de leur camion de livraisons a été suivie de celle de la mise en ligne d’un nouveau site visant à recruter des chauffeurs-livreurs particuliers.

Une livraison de bière en guise de démonstration

Renault/nuTonomy, eux, prétendent que les taxis autonomes seront deux fois plus efficaces que les chauffeurs de taxi. Ils pourraient réduire de moitié la circulation des taxis dans la ville de Singapour grâce à leur système. Sachez que cette ville-état détient le record mondial du nombre de taxis par habitant, car elle tente de maîtriser le nombre de véhicules personnels en circulation. En l’occurrence, on parle de pas moins de dix mille chauffeurs de taxis. Que deviendraient les emplois menacés par cette autonomisation des taxis?

L’enthousiasme industriel et économique que suscite le véhicule autonome est trop important pour juger cette technologie anecdotique. Qu’on ne s’y trompe pas : les arguments publicitaires nous cachent le réel changement que cela pourrait provoquer dans nos sociétés. On peut classer cette révolution technologique au même rang que la mécanisation des usines du XIXème siècle (Germinal – Émile Zola), que l’avènement de la production en série au début du XXème siècle (Les temps modernes – Charlie Chaplin) et que l’informatisation généralisée des dernières trente années. Ces révolutions économiques ont débouché sur des drames sociétaux. il a alors fallu une reconversion de l’économie pour trouver de nouveaux leviers de croissance afin de subvenir aux besoins de chacun.

Aussi, devrait-on s’interroger sur la disparition du métier de chauffeur. Les postes d’ingénieurs et de techniciens nécessaires pour élaborer et entretenir cette technologie pourraient-ils compenser progressivement ? L’avenir nous dira quelle direction prendra la mutation de la société qui devra fournir de nouveaux emplois à ses chauffeurs. Par le passé, la croissance économique avait été à chaque fois la voie suivie pour palier aux changements. Qu’en serait-il dorénavant avec une planète saturée par nos activités ? Il n’est toutefois pas à exclure que cette technologie fasse un flop et soit enterrée comme d’autres (avions commerciaux supersoniques, navettes spatiales, écrans TV 3D, …).

Will Smith sort de sa voiture autonome – I, Robot (2004)

Autre questionnement : où sera la responsabilité en cas d’accident ? le propriétaire ? le constructeur ? La législation reste imprécise. Il est intéressant d’ailleurs sur ce point de voir Tesla se laver les mains en gardant son « autopilot » en version dite « bêta » (c’est-à-dire en cours de développement) pour se dégager de toute responsabilité sur le propriétaire qui a accepté d’enclencher le système. Tesla a d’ailleurs été attaqué sur ce principe par l’état fédéral allemand (ainsi que par d’autres associations). Il est alors rappelé que le propriétaire du véhicule reste responsable et donc doit rester aux commandes.

Concrètement, pouvons-nous concevoir de nous faire conduire par des machines ?
Pour anecdote, l’auteur Isaac Asimov imaginait déjà il y a 70 ans l’avènement des voitures autonomes, tel qu’on l’a revu dans le film «I, Robot» tiré de ses écrits. Il imaginait aussi et surtout le bouleversement que cela allait avoir pour nos sociétés. Ces machines rouleraient à toute allure, trop parfaites pour garder une quelconque marge de sécurité.

Cette technologie serait plus qu’une évolution de l’automobile. Avant de nous y soumettre, il faudra qu’on se pose suffisamment de questions sur son empreinte dans nos vies.

Élie

28Sep/16

Quelques droits consacrés par la loi numérique

Le projet de loi pour une République numérique a été examiné et est adopté aujourd’hui devant le sénat. Même si ce projet de loi n’est pas une révolution mais en grande partie une transposition dans l’ordre national de droits reconnus au niveau européen, cette loi marquera la consécration de dispositions nécessaires à une bonne régulation de la société numérique.

On sait que la régulation d’une société numérique va au-delà du législateur. Il nécessite également une volonté, un engagement des grandes figures du numérique, surtout dans une sphère internationale et virtuelle. Certes les fournisseurs d’accès internet, par exemple, sont sous le contrôle de l’ARCEP qui s’assurera de la bonne tenue de leurs obligations et du respect des principes régissant leur domaine. Mais s’agissant de la protection des données personnelles, quelles moyens de coercition soumettront les grandes figures telles que les GAFA aux normes nationales, les sanctions pécuniaires de la CNIL ?

Basiquement, par cette loi, le législateur essaie de jouer sa partition. Cependant, une part prépondérante de cette régulation appartient aux acteurs du numérique incluant notamment les simples utilisateurs que nous sommes. Chacun de nous devient d’une certaine manière un acteur de l’internet. La régulation du net passera par l’éducation massive des utilisateurs, d’une part, responsables de leurs publications et d’autre part, ayant leur voix au chapitre face aux méthodes des grandes entreprises du net. C’est sûrement dans cet esprit que cette loi a inauguré une forme de consultation citoyenne inédite. En effet, rappelons que 21 330 citoyens ont co-écrit ce projet de loi. Si les propositions citoyennes ont fait l’objet de nombre d’amendements, le résultat final revêt l’étoffe d’un compromis démocratique.

De multiples aspects de la société numérique y sont abordés :

L’accessibilité des données publiques

We are open

Dans l’article 1er, est consacré un droit à l’open data. Les données publiques doivent être librement et gratuitement accessibles. L’objectif visé par le législateur est d’« élargir massivement les obligations de diffusion spontanée de documents et données des organismes publics ».

Le contrôle de ses données personnelles

La loi prévoit que « toute personne dispose du droit de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel la concernant. »

L’utilisateur moyen a-t-il vraiment conscience de la collecte de ses données ? Même quand on en a conscience, maîtrise-t-on vraiment comment elle est faite et a-t-on le choix des destinataires et des usages ?
Quand on sait que ce qui est publié sur Facebook devient propriété du site*, on s’interroge sur la portée d’une telle disposition ? *selon les conditions d’utilisation du site, celles-là même qu’on accepte souvent sans lire !

Le droit à l’oubli numérique des mineurs

La présence des mineurs sur le réseau laisse des données qu'ils doivent être libres d'assumer ou pas plus tard.

L’article 19 de la loi numérique dispose que « le responsable du traitement est tenu d’effacer dans les meilleurs délais les données à caractère personnel qui ont été collectées dans le cadre de l’offre de services de la société de l’information lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte. »

En effet, le droit à l’oubli numérique, c’est le droit pour une personne d’obtenir que les informations à son sujet mises en ligne soient effacées après un moment du cyberespace, une sorte de réhabilitation de sa réputation sur le net. Ce droit s’affiche en général comme une arme contre le traçage, la diffamation…

Souvent actifs de manière précoce et pas forcément conscients des enjeux de leurs publications, les mineurs sont protéger d’eux-mêmes et des autres par ce droit dont le législateur définit précisément les modalités d’exercice.

La mort numérique

Notre identité numérique perdure après notre mort

Que deviendront nos mails, profils Facebook, nos données en général après notre mort ?
Certains réseaux sociaux nous permettent de décider dans leurs paramètres de cette question. Le testament numérique établi par cette nouvelle loi nous permet de disposer de ce qu’il adviendra de l’ensemble de nos données après notre mort. En l’absence de telles dispositions, les héritiers ont le droit de modifier ou de supprimer nos données après notre mort.

La consécration de la neutralité du net

La neutralité du Net est un principe devant garantir l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Les discriminations liées à quelque facteur que ce soit (contenu, source, destination) sont alors considérées comme illégitimes. L’ARCEP sera le gardien de cette neutralité en sanctionnant les opérateurs qui l’entraveront.

Le délit d’entrave numérique à l’IVG

Le fait de transmettre « par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières. » ( art L. 2223-2 du code de la santé publique) est puni de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende.

Élie

27Oct/14

L’action de groupe : la nouvelle arme des consommateurs français.

Un nouvel article L423-1 et suivants du code de la consommation prévoit une action collective en France. Les consommateurs ont ainsi la possibilité d’agir collectivement pour obtenir la réparation économique des préjudices personnels.

Ce fameux dispositif issu de la loi relative à la consommation en date du 17 mars 2014 est entré en vigueur début octobre après son décret d’application du 26 septembre 2014. C’est par les associations de consommateurs agrées que les consommateurs pourront exercer cette nouvelle action. Les 15 associations de consommation agrées françaises (Voir la liste des associations de consommateurs) ont dorénavant le droit d’ester en justice contre une pratique illégale d’une entreprise et d’obtenir des réparations pour l’ensemble des consommateurs victimes.

Logo de l'association UFC-Que-Choisir

Dès l’entrée en vigueur de cette loi le 1er octobre 2014, l’association de consommateurs UFC-Que-choisir a annoncé une action contre FONCIA. Le groupe aurait indûment facturé à plus de 300 000 clients un service d’avis d’échéance à 2,30 euros par mois pendant un certain temps. Les clients, voulant se joindre à l’action, devront garder tous les justificatifs nécessaires, notamment les factures de FONCIA, pour être indemnisés.

Tandis que certains louent cette avancée du droit de la consommation, d’autres mettent en avant la timidité de cette loi censée révolutionner le droit de la consommation en France. En effet, on est bien loin de la fameuse class action des Etats-Unis. Ce n’est pas la terrible arme de dissuasion escomptée mais plutôt une arme de réparation massive des litiges du quotidien.

Tout d’abord, seules les associations de consommateurs peuvent lancer la class action contrairement aux USA où les avocats lancent directement les actions et font une publicité active pour constituer le groupe lésé. En France, les avocats ne sont pas autorisés à faire de la publicité, ce qui aurait rendu insensé un dispositif copié sur les Etats-Unis. Le législateur français aurait fait ce choix pour éviter qu’un gros pourcentage de la réparation ne revienne à l’avocat, comme aux USA.

Devanture d'une agence Foncia
Devanture d’une agence Foncia

Ensuite, la class action française concerne les litiges du quotidien en droit de la concurrence et de la consommation avec un préjudice matériel à l’exclusion des domaines de la santé et de l’environnement. Le préjudice moral n’est pas pris en compte par l’action de groupe.

Seul le préjudice réellement subi sera indemnisé et il ne sera pas question de dommages et intérêts punitifs. Ces derniers sont définis comme des dédommagements, qui excèdent le préjudice subi, alloués par le tribunal à la victime afin de punir le comportement fautif de l’auteur du dommage, et non d’indemniser uniquement la victime. En France, la notion de dommages et intérêts punitifs n’est pas concrétisée dans le droit positif.

Aux USA, la perspective de payer des sommes colossales incluant les dommages et intérêts punitifs rend plus dissuasive la class action. Cela a été récemment le cas de Red Bull. Accusée de publicité mensongère au motif que leurs boissons énergisantes ne seraient pas plus efficaces que la caféine et ne donneraient donc pas des ailes, la firme a préféré transiger face à la lourdeur d’un procès et à ses conséquences dommageables pour la renommée de la marque. La société a donc accordé à tout consommateur états-unien entre 2002 et octobre 2014 une indemnité de 10 dollars ou un coupon d’achat de 15 dollars en produits de la marque.

Que ce soit outre–Atlantique ou en France, les actions de groupe peuvent contraindre les entreprises à mieux respecter le droit de la consommation dans la mesure où leur image peut sévèrement en pâtir.

Élie

02Oct/14

Qui est le garant du droit à l’oubli numérique ?

Dans un cyberespace où notre e-réputation nous précède, le droit à l’oubli numérique est indispensable. Il s’agit du droit pour une personne à demander et obtenir que les informations à son sujet mises en ligne soient retirées du net. En somme, c’est une sorte de réhabilitation de sa réputation sur le net. Ce droit s’affiche comme une arme contre le traçage, la diffamation…

Auparavant, le fichage était l’apanage de l’administration. On sait par exemple en droit pénal, que le casier judiciaire d’une personne ayant fait l’objet de certaines réhabilitations, est remis à plat. Interdiction est alors faite à toute personne ayant été au courant de la condamnation de la mentionner après. Il serait anormal dans ce cas que des informations, articles et autres données concernant ladite condamnation circulent librement sur le net en impactant éternellement sur la vie du condamné et de ses proches.

Tableau noir d'école écrit à la craie : 'Droit à l'oubli numérique'
Droit à l’oubli numérique

De nos jours, le fichage est quotidien. De nombreux sites collectent des données personnelles à des fins diverses. La directive européenne de 1995 relative à la collecte des données personnelles avaient pour autant définies des conditions. Ce texte étant devenu obsolète face aux nouvelles évolutions de la société numérique. Début 2012, un projet de directive a été déposé à cette fin ; en réalité, il donnerait lieu à un règlement en 2015. Il y est affirmé le droit à l’oubli numérique, ainsi que des sanctions (amendes) prévues en cas de non-application.

On peut bien sûr effacer des informations laissées volontairement sur un réseau social. Mais sont-ils complètement effacés ou restent-ils stockés dans des serveurs ? Par ailleurs, qu’en est-il des articles et éléments laissés par d’autres personnes ?

Plus récemment, une décision de la CJUE en date du 13 mai 2014 a consacré le « droit à l’oubli » relatif aux informations personnelles des particuliers. Fin mai, Google a dû donc mettre à disposition un formulaire pour demander le déréférencement. 135 000 demandes ont déjà été émises par des particuliers et plus de la moitié n’ont pu être satisfaites par Google. Bien sûr, il reste pour l’intéressé la possibilité d’agir en justice pour l’intéressé. En effet, une décision du tribunal de grande instance de Paris en date du 16 septembre 2014 s’appuie sur l’arrêt de la CJUE pour ordonner à Google le retrait des informations.

La question qui se pose est celle des critères établis par Google pour effacer ou non une publication à la demande de l’intéressé. Il semble que les données pertinentes compte tenu de la profession n’aient pas droit à l’oubli pour la firme américaine. Devrait-on laisser à Google ou à tout autre moteur de recherche le soin d’établir ses propres critères, ses propres délais en matière d’oubli numérique alors que légiférer ou élaborer un règlement en la matière assurerait plus d’efficacité  et de garanties aux particuliers ?

Élie